Dans le cadre d’une succession, il n’est pas toujours évident pour les héritiers de préserver un équilibre entre respect des volontés du défunt et continuité de vie pour les proches survivants. C’est ici qu’intervient un mécanisme peu connu, mais pourtant précieux : l’attribution préférentielle.
Cette disposition juridique permet, dans certaines conditions, à un héritier, et notamment au conjoint survivant, de demander que certains biens lui soient attribués en priorité. Bien plus qu’un simple avantage, cette mesure peut s’avérer déterminante pour garantir un maintien dans le logement familial ou la poursuite d’une activité professionnelle.
Qu’est-ce que l’attribution préférentielle ?
L’attribution préférentielle est une mesure prévue par le Code civil (articles 831 à 832-4) permettant à certains héritiers de demander, à l’occasion du partage d’une succession, qu’un bien spécifique leur soit attribué en priorité. L’attribution préférentielle ne constitue pas un « bonus » mais une modalité de partage. Elle n’augmente pas la part d’héritage du bénéficiaire, mais elle lui permet de conserver un bien dans la limite de ses droits dans la succession. Si la valeur du bien excède sa part, le paiement d’une soulte (somme destinée à compenser les cohéritiers) est dû aux autres héritiers pour compenser l’écart.
Elle répond à des situations concrètes où le maintien dans les lieux, la continuité professionnelle ou la stabilité familiale sont en jeu. Concrètement, l’attribution préférentielle a pour effet de préserver l’usage ou la jouissance d’un bien vital, sans imposer une indivision conflictuelle ou une vente aux enchères.
Qui peut bénéficier de l’attribution préférentielle ?
Le Code civil prévoit que tout héritier peut formuler une demande d’attribution préférentielle, dès lors qu’il est copropriétaire ou en indivision avec d’autres cohéritiers. Cela permet notamment d’éviter la vente d’un bien au profit d’un maintien dans le patrimoine familial.
Le conjoint survivant
Le Code civil accorde au conjoint survivant une priorité légale dans plusieurs cas :
- La résidence principale et son mobilier (article 831-2 C. civ.) ;
- Le local à usage professionnel, s’il en poursuivait l’exploitation ;
- Depuis la loi du 16 février 2015, le véhicule nécessaire aux besoins de la vie courante est également concerné.
À noter : cette faculté ne bénéficie pas au partenaire de PACS ou au concubin, sauf stipulation particulière ou donation.
Les autres héritiers
L’attribution préférentielle peut également être demandée par :
- Les enfants ou petits-enfants qui participent à l’exploitation d’une entreprise familiale ou agricole ;
- Les héritiers copropriétaires d’un bien indivis, sous certaines conditions strictes, notamment de liens de parenté et d’indivision successorale.
Une indivision conventionnelle exclut l’attribution préférentielle sauf clause contraire explicite dans l’acte constitutif.
Conditions de l’attribution préférentielle
Un droit encadré par la loi
Pour être accordée, l’attribution préférentielle doit respecter plusieurs conditions :
- La nature du bien : logement, outil professionnel, exploitation agricole, véhicule d’usage courant.
- Le lien du demandeur avec le défunt : héritier réservataire, conjoint survivant ou coindivisaire par succession.
- Le caractère indivis du bien : il doit être partagé entre plusieurs héritiers.
- L’accord des cohéritiers, ou à défaut, l’autorisation du juge.
Le Code civil prévoit aussi un droit de renonciation à l’attribution si la valeur du bien a augmenté de plus de 25 % entre la demande et le partage définitif (article 834 C. civ., jurisprudence du 29 mai 2019, pourvoi n°18-18823).
Ces demandes doivent être présentées au moment du partage, soit par voie amiable entre héritiers, soit devant le juge si aucun accord n’est trouvé.
Isabelle Sepulchre, Conseillère legs et donations à la Fondation de France, précise : « Avec l’accord des cohéritiers, ou devant le juge, un héritier copropriétaire peut également en obtenir l’attribution préférentielle d’un bien en copropriété ou en indivision. »
L’attribution préférentielle ne produit ses effets qu’à la date du partage définitif. Avant cela, le bien reste indivis, même si la demande a été formulée. En cas de changement important de valeur du bien, le demandeur peut se désister.
Cas particuliers : l’exploitation agricole
L’attribution préférentielle en matière agricole est soumise à des règles spécifiques. Le bénéficiaire doit :
- Justifier d’une participation effective à la mise en valeur de l’exploitation ;
- Être apte à gérer le bien (Cass. 1re civ., 4 juillet 2007, pourvoi n°06-14327).
Le juge évalue cette capacité de gestion. Elle peut être établie par la participation directe ou celle d’un descendant.
En pratique : comment demander une attribution préférentielle ?
Étapes clés :
- Formuler la demande devant le notaire chargé de la succession ;
- Obtenir l’accord exprès des cohéritiers, ou saisir le tribunal judiciaire en cas de désaccord ;
- Faire évaluer le bien à attribuer ;
- Verser une soulte équitable si le bien n’est pas totalement détenu par le demandeur.
Le recours à un notaire expérimenté est indispensable pour encadrer la procédure et éviter toute contestation.
L’attribution préférentielle dans le cadre d’un testament
Le défunt peut, dans son testament, préciser son souhait que certains biens soient attribués préférentiellement à un héritier déterminé, en particulier son conjoint ou un partenaire pacsé. Cela ne garantit pas juridiquement l’attribution, mais oriente fortement le partage, surtout en cas d’accord entre héritiers.
Exemple : Jean décède en laissant pour héritiers son épouse et deux enfants. Il possédait un appartement (valeur : 300 000 €) où vivait le couple. Son épouse, cohéritière à un tiers, souhaite conserver ce logement. Elle peut demander l’attribution préférentielle du bien, en indemnisant ses enfants pour leurs parts (2/3 de la valeur), soit 200 000 € à répartir entre eux.
En cas de désaccord : intervention du juge
Si les héritiers ne parviennent pas à s’accorder, la demande d’attribution préférentielle est portée devant le juge du tribunal judiciaire. Celui-ci appréciera l’opportunité de la demande en fonction de critères familiaux, économiques et sociaux.
Pourquoi cette mesure est utile à la philanthropie ?
Dans le cadre d’un legs à la Fondation de France, l’attribution préférentielle peut s’avérer précieuse pour :
- Préserver un logement dans lequel réside une personne soutenue par le testateur ;
- Faciliter la transmission d’un bien professionnel à un proche, tout en soutenant l’intérêt général.
Elle permet ainsi de concilier protection des proches et engagement philanthropique, sans générer de tensions dans la succession.
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